13 août 2025
Mis à jour le : 14 août 2025

Faire de la recherche inclusive : pour une transformation éthique et sociale des espaces de production des savoirs

Par Élise Milot, Ph. D., professeure titulaire à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval

Cotitulaire de la Chaire Autodétermination et Handicap

Depuis les années 2000, la recherche inclusive s’est développée dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni, en Australie et en Irlande. Portée par des mouvements de défense des droits et des chercheur·e·s engagé·e·s, cette approche remet en question les pratiques traditionnelles de recherche qui ont longtemps exclu les personnes ayant une déficience intellectuelle des espaces de production et de diffusion des savoirs. Trop souvent, ces personnes ont été étudiées comme objets de recherche, sans qu’on leur donne la parole ni qu’on les invite à participer activement à la recherche. En d’autres termes, on parlait d’elles, mais sans elles. Leurs savoirs issus de l’expérience n’étaient pas toujours perçus comme étant légitimes. Cette exclusion systématique a contribué à maintenir des rapports de pouvoir inégaux et à renforcer leur marginalisation sociale et épistémique* (Walmsley et Johnson, 2003).

La recherche inclusive va à l’encontre de cette logique en proposant une autre manière de faire la recherche. Elle considère les personnes concernées comme de véritables partenaires, invitées à participer activement à toutes les étapes du projet. Fondée sur des principes de justice sociale, elle cherche à créer des connaissances avec, par et pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, en mettant en valeur leur vécu, leurs connaissances et leurs points de vue.

 

Caractéristiques de la recherche inclusive

Selon Walmsley et Johnson (2003) la recherche inclusive se distingue par :

  • une question de recherche proposée par des personnes ayant une déficience intellectuelle ;
  • une recherche qui répond à leurs besoins et sert leurs intérêts ;
  • une participation active à toutes les étapes du projet ;
  • un certain pouvoir de décision sur le déroulement et les résultats ;
  • une diffusion accessible des résultats, dans un langage clair et adapté.

Au-delà de la méthode, la recherche inclusive implique un engagement éthique et social. Mais pourquoi choisir cette approche ? Quels sont ses bénéfices, et pour qui ?

 

Pourquoi faire de la recherche inclusive?

La recherche inclusive cherche à renverser les dynamiques d’exclusion en reconnaissant la valeur des savoirs issus de l’expérience vécue et en soutenant l’autodétermination des personnes concernées. Elle s’inscrit dans une démarche émancipatoire, inspirée par le modèle social du handicap (Oliver, 2009), qui considère que les obstacles rencontrés par les personnes en situation de handicap ne viennent pas de leurs limitations personnelles, mais de barrières sociales, environnementales et institutionnelles.

Adopter une approche inclusive en recherche, ce n’est pas seulement une question de méthode : c’est une manière de repenser en profondeur les rapports entre savoirs, pouvoir et justice sociale.

 Au-delà de ses fondements éthiques, cette approche a une réelle valeur ajoutée : elle permet d’accéder à des savoirs et à des personnes souvent invisibles dans la recherche traditionnelle, de poser des questions nouvelles, et de renforcer l’authenticité du processus de recherche (Walmsley et al., 2018). Elle peut aussi avoir des effets concrets et positifs : améliorer la qualité de vie des personnes concernées, influencer les politiques et les pratiques, et transformer les représentations sociales.

Or, cette approche ne se limite pas à une intention inclusive : elle repose sur des principes concrets qui orientent la manière de faire la recherche.

 

Principes à respecter pour une recherche inclusive réussie

Le premier principe fondamental est le célèbre « Rien sur nous sans nous ». Il affirme que toute recherche qui concerne les personnes ayant une déficience intellectuelle doit les inclure dès le départ, de la formulation des questions jusqu’à la diffusion des résultats.

Cette participation repose sur le respect de leur dignité, de leurs choix et de leurs droits, ainsi que sur la reconnaissance de leur savoir issu de l’expérience vécue comme une source précieuse de connaissance.

Le consentement éclairé est un pilier essentiel : il permet à chaque personne de comprendre clairement le projet et de choisir librement d’y participer ou non, à chaque étape. Dans une démarche inclusive, la personne ayant une déficience intellectuelle ne fait pas que participer — elle coconstruit le projet. Cela implique qu’elle puisse aussi proposer des alternatives, prendre part aux décisions et influencer le déroulement de la recherche. La transparence est tout aussi importante : les objectifs, les méthodes et les résultats doivent être partagés ouvertement avec toutes les personnes impliquées, dans un langage clair et accessible.

Pour que la recherche inclusive soit réellement équitable, elle doit garantir un partage du pouvoir entre toutes les personnes impliquées.

La recherche inclusive repose sur une logique de coconstruction et d’égalité. Cela signifie qu’il faut clarifier les rôles dès le début, encourager une collaboration juste entre les chercheur·e·s universitaires et les cochercheur·e·s ayant une expertise issue de leur vécu, et reconnaître les compétences de chacun et chacune.

Pour que cette collaboration soit vraiment efficace, il est important d’offrir un accompagnement adapté et une formation préalable aux cochercheur·e·s ayant une déficience intellectuelle, ainsi qu’un soutien continu pour développer leurs compétences en recherche.

L’accessibilité est aussi un principe clé à respecter tout au long du projet. Les outils, les méthodes et les communications doivent être pensés pour être compréhensibles et utilisables par toutes et tous, en tenant compte des besoins spécifiques.

Les chercheur·e·s universitaires doivent aussi faire preuve de réflexivité tout au long de la recherche : cela implique de réfléchir à leur posture, aux rapports de pouvoir et à l’impact de leur travail, pour s’assurer que chaque personne puisse contribuer de manière équitable. Ces personnes ont aussi la responsabilité de documenter les processus et les apprentissages issus de la démarche inclusive, pour partager ces savoirs et inspirer d’autres équipes. Les chercheur·e·s universitaires doivent reconnaître clairement les contributions des cochercheur·e·s ayant une déficience intellectuelle: leurs apports doivent être nommés, décrits et valorisés, sans être noyés dans des rôles flous ou des formulations vagues.

Ainsi, la recherche inclusive permet de renforcer le pouvoir d’agir des personnes concernées, en mettant en valeur leur participation, leurs forces, leur potentiel et leur autonomie. Elle cherche aussi à influencer les politiques et les pratiques, en contribuant à des changements concrets dans les services et les décisions qui touchent directement les personnes ayant une déficience intellectuelle.

 

Conclusion

Faire de la recherche inclusive, c’est produire des connaissances plus justes, plus pertinentes et plus humaines. C’est aussi agir pour la justice sociale, en reconnaissant, en valorisant et en diffusant les contributions que les personnes ayant une déficience intellectuelle peuvent apporter à la recherche, et à la société.

* Note. La marginalisation épistémique désigne le fait d’exclure certaines personnes ou groupes du processus de création ou de diffusion des savoirs. Cela signifie que leurs idées, leurs expériences ou leurs façons de comprendre le monde ne sont pas prises au sérieux, ignorées ou considérées comme moins valides que celles des groupes dominants.

 

Références
  • Oliver, M. (2009). Understanding disability: from theory to practice (2e éd.). Palgrave Macmillan.
  • Walmsley, J. (2004). Inclusive learning disability research: the (nondisabled) researcher’s role. British Journal of Learning Disabilities, 32(2), 65-71. https://doi.org/10.1111/j.1468-3156.2004.00281.x
  • Walmsley, J. et Johnson, K. (2003). Inclusive research with people with learning disabilities: Past, present and futures. Jessica Kingsley Publishers.
  • Walmsley, J., Strnadová, I. et Johnson, K. (2018). The added value of inclusive research. Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities, 31(5), 751-759. https://doi.org/10.1111/jar.12431
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