7 août 2025
Mis à jour le : 7 août 2025

De l’habitation à échelle humaine : mythe ou réalité?

Par Martin Caouette, Ph. D., Ps. Ed. et Élise Milot, Ph. D.

Co-titulaires de la Chaire Autodétermination et Handicap

Le 2 août dernier, Le Journal de Québec publiait un article1 signé par Martin Lavoie, dans lequel deux mères exprimaient leurs préoccupations quant à la qualité des services offerts à leur enfant adulte hébergé à la Maison des aînés et alternative (MDAA) de Sainte-Foy. Selon elles, le manque de personnel aurait des répercussions importantes sur le bien-être de leur proche.

Avant d’approfondir la réflexion, il importe de bien définir ce que sont ces établissements.

Que sont les Maisons des ainés et alternatives?

Les Maisons des aînés et alternatives ont été développées au Québec ces dernières années dans l’objectif de repenser les milieux de vie pour les personnes en perte d’autonomie ou ayant des besoins de soutien particuliers. Le volet « alternatif » s’adresse spécifiquement à des adultes ayant une déficience intellectuelle, une déficience physique ou autistes, qui nécessitent un accompagnement important au quotidien 2 3.

Ces maisons se veulent chaleureuses, composées de « maisonnées » comprenant 12 chambres avec salle de bain adaptée privée. L’approche prône un environnement à échelle humaine visant à favoriser des liens de proximité entre les personnes résidents, les familles et les membres du personnel.

Présenté en 2019 par la ministre Marguerite Blais comme « un nouveau standard de qualité » pour répondre aux besoins des personnes aînées et des adultes en situation de handicap, ce modèle avait pour ambition de restaurer la dignité et la qualité de vie de ces personnes.

De bonnes intentions… mais une mise en œuvre à surveiller

Il convient de reconnaître les intentions positives à l’origine de ce projet. Offrir une alternative aux centre hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) pour des adultes plus jeunes est pertinent, tout comme la volonté de favoriser un cadre de vie plus humain, personnalisé et respectueux des besoins des personnes hébergées.

Cependant, les situations rapportées dans l’article soulèvent certaines questions sur l’écart possible entre le concept et sa mise en œuvre concrète. Les défis rapportés — notamment le manque de personnel et la difficulté à assurer un accompagnement individualisé — rappellent certaines critiques historiquement associées aux milieux dits « institutionnels », où l’organisation du quotidien tend parfois à prendre le pas sur les besoins spécifiques de chaque personne. Dans ces milieux, une forme insidieuse de déshumanisation peut s’installer : les personnes ne sont plus perçues comme des personnes à part entière, mais comme des « objets de soin » dont il faut s’occuper, souvent dans l’urgence et sans égard à leurs expériences de vie, à leurs préférences ou à leur dignité. Ce constat invite à se questionner sur les conditions nécessaires pour permettre à ces milieux de vie de réellement incarner les valeurs d’humanité, de respect et de bienveillance sur lesquelles ils ont été fondés.

Vivre « comme à la maison » : un idéal difficile à atteindre?

L’un des fondements du modèle repose sur l’idée d’un milieu de vie qui reproduit, autant que possible, la vie à domicile. Cette ambition, porteuse d’humanité et de respect, est confrontée à plusieurs éléments.

D’abord, l’apparence physique de certains établissements, souvent identifiés de façon visible et situés à proximité d’autres institutions du réseau de la santé, ne correspond pas toujours à l’image d’une maison telle qu’on la conçoit au quotidien. Souvent, ils ressemblent davantage à un établissement médicalisé où on reçoit des soins qu’à un véritable milieu de vie.

Ensuite, lorsque l’on vit dans son domicile, on choisit la personne professionnelle qui nous offre des services. Dans ces milieux, cette participation à la sélection du personnel demeure limitée. Pourtant, des exemples dans la littérature scientifique existent quant à la façon d’y parvenir 4

De plus, le contexte dans lequel cohabitent plusieurs personnes avec des besoins complexes, accompagné d’un roulement de personnel et d’un cadre de travail structuré, peut rendre difficile la création de liens profonds, significatifs et durables. Or, dans un milieu qui se veut familial, la qualité des relations humaines est tout aussi importante que la qualité des soins. Dans quelle mesure le contexte permet-il de vivre des rencontres conviviales5 et de développer des relations de qualité entre les personnes qui y demeurent, celles qui les accompagnent et les familles? Lorsque l’on se retrouve à vivre dans un environnement où cohabitent 12 personnes, auxquelles s’ajoutent des membres de famille et de nombreux membres du personnel, cela représente un défi considérable.

On s’éloigne d’un véritable « chez-soi », puisque les personnes ne vivent pas dans leur propre domicile, elles sont hébergées. Ici, le choix des mots n’est pas anodin. Lorsque l’on est hébergé, on vit chez celui qui nous héberge. C’est celui qui héberge qui impose, du moins en partie, ses règles. Il s’agit d’une dynamique de pouvoir où le contrôle appartient à celui qui héberge et non à la personne hébergée. C’est un élément qui semble faire écho à cette mère qui exprime que « ce n’est pas à sa fille de s’ajuster au personnel, c’est le contraire ». Cette déclaration met en lumière une inversion des rôles. Dans un milieu de vie réellement centré sur la personne, ce sont les membres du personnel qui doivent s’adapter aux besoins, aux rythmes et aux préférences des personnes qui y demeurent, et non l’inverse.

L’environnement ne fait pas tout

Il serait simpliste de croire que l’esthétique ou la modernité d’un lieu garantit la qualité de vie des personnes qui l’occupe. Un milieu de vie moderne et bien conçu constitue un atout indéniable, mais il doit s’accompagner d’un accompagnement humain de qualité, sensible, respectueux et cohérent avec les valeurs de l’inclusion.

Au-delà du nombre de personnes présentes, c’est la manière dont les services sont rendus qui fait une réelle différence, ce qui repose sur la capacité à reconnaître chaque individu comme porteur d’une histoire, de besoins spécifiques, de préférences personnelles. C’est aussi l’attention portée aux familles, leur inclusion dans le processus de soin, et la reconnaissance de leur expertise.

En conclusion

À première vue, les Maisons alternatives semblent répondre à un besoin réel et s’inscrivent dans une volonté d’améliorer les milieux de vie pour les personnes ayant des besoins de soutien importants. Toutefois, les témoignages recueillis et les constats sur le terrain appellent à une réflexion continue sur les moyens à mettre en place pour que ces milieux tiennent réellement leurs promesses.

Plusieurs éléments suggèrent que la conception et le fonctionnement actuels de ces établissements ne s’alignent pas pleinement avec les connaissances issues de la littérature scientifique, ni avec les principes fondamentaux de l’inclusion et du respect de la personne au cœur de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Bien que porteurs d’espoir, ces milieux — dont le développement implique des investissements considérables — peinent à atteindre les objectifs ambitieux qu’on leur attribue. Dans un contexte où ces projets ont été fortement soutenus sur le plan politique, il devient difficile de remettre en question leur pertinence ou leur efficacité sans heurter des intérêts stratégiques. Depuis leur intégration dans la nouvelle structure centralisée de Santé Québec, les marges de manœuvre des gestionnaires locaux pour réévaluer et ajuster le modèle sont d’autant plus restreintes. Cette centralisation complexifie la possibilité d’apporter des changements significatifs, même lorsque des enjeux sont observés sur le terrain.

Il ne suffit pas de repenser les murs : il faut aussi avoir le courage de repenser les pratiques, les relations humaines et les façons de collaborer avec les personnes concernées. Sans un véritable engagement à transformer les pratiques, le risque est que le changement ne soit qu’en surface, soit une façade qui laisse intactes les logiques institutionnelles que l’on prétend dépasser.

 

 

Liste des références:
  1. https://www.journaldequebec.com/2025/08/02/deux-meres-veulent-de-meilleurs-soins-pour-leurs-enfants-handicapes
  2. https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2020/20-863-03W.pdf
  3. https://www.quebec.ca/sante/systeme-et-services-de-sante/organisation-des-services/maisons-aines-et-maisons-alternatives/a-propos-maisons-aines-maisons-alternatives
  4. https://theses.fr/2023PA01E009
  5. https://autodetermination.ca/cet-ete-si-on-choisissait-de-se-rencontrer/
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