5 septembre 2025
Mis à jour le : 8 septembre 2025

Continuer le Mouvement! Quand l’engagement transforme des vies

Par Élise Milot, Ph. D., professeure titulaire à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval

Cotitulaire de la Chaire Autodétermination et Handicap

Au Québec, les Mouvements Personne d’Abord sont des groupes de défense collective des droits créés et dirigés par et pour les personnes vivant avec l’étiquette de la déficience intellectuelle1. Depuis plus de 40 ans, ces organismes renforcent l’autodétermination de leurs membres2 en les soutenant dans la prise de parole, la défense de leurs droits et leur participation active à la société. Mais que se passe-t-il vraiment à l’intérieur de ces mouvements3? Qu’est-ce que les membres et les personnes-ressources qui les soutiennent y apprennent, vivent et construisent ensemble ?

Pour répondre à ces questions, la Fédération des Mouvements Personne d’Abord et une équipe de recherche de l’Université Laval ont uni leurs forces dans une démarche de recherche participative ayant pour titre « Continuer le Mouvement! ». Ensemble, elles ont rencontré des membres et des personnes-ressources pour explorer ce qui nourrit leur engagement, les savoirs qu’ils ont développés au fil des années et les retombées concrètes de leur implication. Cette collaboration a permis de mettre en lumière une expertise citoyenne précieuse, souvent méconnue, dont il faut s’inspirer pour bâtir une société plus inclusive.

Les témoignages recueillis dans cette recherche le montrent clairement : l’engagement dans un Mouvement Personne d’Abord transforme les parcours de vie. En s’impliquant, les membres développent des compétences concrètes comme la prise de parole en public, la participation à des activités citoyennes ou l’organisation d’événements. Toutefois, les apprentissages acquis vont bien au-delà des savoir-faire techniques. Ils s’accompagnent de savoir-être essentiels : apprendre à écouter, à accueillir les nouveaux membres, à prendre des décisions et à comprendre les enjeux sociaux et politiques. Ces expériences façonnent leur identité et leur rapport au monde. Pour plusieurs, elles marquent le passage d’un sentiment d’isolement à une reconnaissance comme citoyens et citoyennes à part entière, capables d’agir, de s’exprimer et de contribuer activement à la société.

Les personnes-ressources, qui travaillent au sein des mouvements, vivent elles aussi une transformation importante. À travers leurs expériences, elles apprennent à adapter leur accompagnement, à écouter sincèrement et à reconnaître l’expertise des membres. Leur posture professionnelle repose sur le respect, l’accueil inconditionnel de l’autre, l’inclusion et la coconstruction. Elles ne se contentent pas d’accompagner, elles créent des conditions propices à l’épanouissement et à la participation pleine et entière des membres. Le mentorat entre collègues personnes-ressources joue également un rôle essentiel : il permet non seulement de transmettre les savoirs, mais aussi de soutenir la relève et de nourrir une culture de solidarité durable au sein des mouvements.

Ce qui motive les membres à rester engagés, c’est le plaisir de participer à des activités qui ont du sens, le sentiment d’être utiles et appréciés et la fierté associée à leurs réalisations collectives. Plusieurs parlent de leur mouvement comme d’une « deuxième famille » : un espace profondément humain, où ils sont accueillis sans condition, respectés dans leur unicité et reconnus pour la richesse de leur contribution au collectif. Pour leur part, les personnes-ressources, portées par le sens accordé à leur engagement, mettent en place des stratégies concrètes pour prendre soin d’elles-mêmes. Ces gestes réfléchis leur permettent de maintenir un équilibre personnel et professionnel, essentiel pour continuer à s’investir pleinement et avec constance dans un travail qu’elles considèrent porteur de sens et en cohérence avec leurs valeurs.

Les retombées de cet engagement sont profondes. Sur le plan personnel, les membres gagnent en confiance, en estime de soi et en autonomie. Sur le plan collectif, ils tissent des liens solides, créent des réseaux de soutien et participent à des actions qui renforcent leur communauté. Les personnes-ressources parlent aussi des effets de leur engagement, évoquant un enrichissement personnel et professionnel, le développement d’une posture plus inclusive ainsi que la satisfaction de contribuer à une démarche collective porteuse de sens.

Cette recherche met en lumière une réalité encore trop peu reconnue : les Mouvements Personne d’Abord sont bien plus que des groupes de défense collective des droits. Ce sont des lieux de transformation sociale, où les savoirs issus de l’expérience sont non seulement reconnus, mais aussi valorisés et transmis. Pour assurer la continuité et la vitalité de ces mouvements, il est essentiel de soutenir la relève, de mieux faire connaître et valoriser le rôle central des personnes-ressources et de reconnaître pleinement les membres comme des actrices et acteurs de changement et de transformation sociale.

S’engager dans le Mouvement, c’est prendre position contre l’exclusion. C’est choisir de contribuer à une société plus juste, plus inclusive et profondément humaine, où chaque personne, peu importe son parcours, peut prendre sa place, faire entendre sa voix et contribuer à un avenir meilleur.

 

→ Pour consulter les rapports de recherche, aussi disponibles en Facile à lire et à comprendre (FALC), consultez la page Continuer le Mouvement!

 

Notes

1 L’expression « personnes vivant avec l’étiquette de la déficience intellectuelle » est utilisée pour mettre en lumière le regard social porté sur ces personnes, plutôt que de les définir uniquement par leur condition. Elle souligne que la déficience intellectuelle est souvent imposée comme une identité par les autres, à travers des normes, des jugements et des classifications. Dans une perspective critique, cette formulation vise à dénoncer les effets de cette catégorisation, de rappeler que la déficience intellectuelle est en partie une construction sociale et de valoriser l’individualité des personnes concernées en refusant de les réduire à un diagnostic.

2 Le terme « membre » réfère exclusivement aux personnes vivant avec l’étiquette de la déficience intellectuelle impliquées bénévolement dans un Mouvement Personne d’Abord du Québec, alors que le terme « personne-ressource » est le titre attribué aux individus salariés qui y travaillent.

3 Le mot « mouvement » s’écrit avec une minuscule lorsqu’il désigne un organisme local, et avec une majuscule lorsqu’il fait référence au mouvement social dans son ensemble.

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